Splendide texte trouvé par une de mes amies très chère, Ariane Spehl, qui m'a autorisée à le partager sur ce blog.
La photo ci-dessus de Franck Grisdale a été merveilleusement bien ajoutée au texte.
Merci Ariane...
Le vent souffle et le bois craque. La pluie ruisselle sur les feuilles. Les ombres s'agitent entre les branchages. C'est la forêt qui chante. C'est la forêt qui danse. La même musique, le même refrain, toujours, mais personne pour écouter...
Je secoue la tête. Seul à penser. Homme dans la forêt. Etranger ? Je ne sais pas. Pourquoi suis-je venu ici ? En cette forêt... En cette vie, en ce monde ? Trop de question, et seul pour y répondre. Les arbres, même séculaires, ne peuvent y répondre. Mais le vent souffle. Est-ce une réponse ? Pourquoi ne puis-je la comprendre dès lors ? Je suis homme... Comme c'est facile ! Etre homme, penser homme, mais qu'est-ce qu'un homme ? Qu'est ce qui fait de moi un homme ? Ce corps, vêtu d'un simple manteau d'ombre mouillée ? Toutes ces questions ? Je suis venu là pour y trouver des réponses, et seuls des bruissements m'accueillent. Trombes d'eau venues du ciel, fine brume grisâtre dans la nuit. Il n'y a plus d'étoiles dans le ciel, et pourtant, la pluie est si douce...
La pluie ! L'eau de la vie, l'eau qui vient du ciel ! Goutte après goutte, sur le sol. Rythme régulier mais tellement chantant. C'est la forêt, encore, qui chante. Elle danse. La même musique, le même refrain, toujours, mais personne pour écouter...
Personne ? Suis-je personne ? J'ai pourtant une conscience. Une conscience peut-elle émaner d'un néant ? Ne serait-elle pas dès lors Dieu ? Suis-je Dieu ? Mais si je suis Dieu, pourquoi ne puis-je répondre aux questions ? Suis-je en train de rêver ?
Tous ces arbres qui se balancent, le vent chasse la brume, la brume chasse le vent. Et la pluie tombe, il fait toujours autant sombre. C'est la forêt mouillée, celle qui chante. C'est la forêt qui danse. La même musique, le même refrain, toujours, mais personne pour écouter...
Et, même s'ils écoutaient, pourraient-ils comprendre ? Moi-même je suis là, j'écoute. Je pense, car je suis homme... Ou suis-je homme car je pense ? Je ne sais pas, donc je ne comprends pas. La véritable question : y a-t-il quelque chose à comprendre ? Les ombres se font plus denses... dans la forêt, dans mon esprit. Je pense, et cela n'aboutit nulle part. Que fait la forêt ? Elle est là, tout autour de moi, mais pas en moi. C'est ce qu'il manque. Je suis homme. Etranger ? Question déjà posée. Toujours aucune réponse.
Tout là-haut, une lune doit briller, reine du ciel, entourée des étoiles sujettes à sa clarté. Robe du soir dans la nuit profonde. Mais l'eau coule ici, du ciel. La lune ignore ce qui s'y passe. Le monde ne voit rien, le monde ne voit pas la forêt, qui chante... C'est la forêt, encore, qui danse. La même musique, le même refrain, toujours, mais personne pour écouter...
Je frissonne. Je ne suis vêtu que de ma nudité. Il fait froid. Les plantes frissonnent-elles ? Il faut marcher, réchauffer ce corps dans lequel je peux penser. Penser... Je le peux. C'est donc une capacité ? A quoi sert elle, quel est son but alors ? S'interroger sur soi-même n'apporte aucune réponse. Je me lève, je marche. Bientôt je n'aurai plus froid. Est-ce cela, la réponse ? Rechercher le confort ? Survivre ? Mais vivre, qu'est-ce ? La forêt vit, je la sens, je la vois, dans mon âme, dans mon coeur qui bat au rythme de la pluie qui s'abat sur les feuilles. Mon corps ruisselle, mes cheveux sont lourds... Mes yeux ! Ils pleurent ! Des larmes du ciel ! Je pleure les cieux de la nuit !
Et soudain, un lac. Des cercles qui réfléchissent les ténèbres de la pluie tombante. Bruit des gouttelettes. L'eau rencontre l'eau. Retour à la source. Là, les branches d'un arbre semblent vouloir s'élancer vers la surface liquide. Ce lac n'est rien. Rien que reflet, reflet d'une forêt, une forêt qui chante. C'est la forêt qui danse. La même musique, le même refrain, toujours, mais personne pour écouter...
Un visage se reflète dans l'eau. Est-ce le mien ? Je le touche, je le palpe. Ces doigts sont-ils miens ? Mon corps m'appartient-il ? Je bouge, je pense. Je suis homme. Est-ce que je vis ? Mon coeur bat... il faut bien. Mais les arbres ont-il un coeur qui bat ? Non... Et pourtant, la forêt vit... Et moi je pense. Je suis là, j'entends. Quelque chose manque... Je ne puis écouter ? Pourquoi ? Etranger...
Et puis, soudain, la pluie s'arrête de tomber. La brume lève son voile, et les nuages s'écartent lentement. Elle est là ! La lune ! Lumière pâle que reflètent les arbres encore humides. Et des étoiles ! Si nombreuses, mais pas assez néanmoins... L'eau ne tombe plus du ciel, c'est la lumière. Les larmes se sont taries. Reste le vent, la complainte oubliée... Mélopée aux accents sauvages et mélodieux qui emplit la forêt, cette forêt, forêt qui chante... C'est la forêt qui danse. La même musique, le même refrain, toujours, mais personne pour écouter...
Oui, la lune ! Avec elle, tout change. Les ténèbres denses font place aux ténèbres sous les étoiles. Si noir et le monde, mais aussi si lumineux ! Si beau et si triste. La beauté dans l'obscurité, mais personne pour en écouter la musique. Personne ? Je l'entends, et voilà que je l'écoute ! Elle me pénètre, entière, et c'est comme si mes yeux s'ouvraient pour la première fois ! Je me souviens à présent ! Une fois, j'ai fait un rêve. J'ai rêvé que j'étais homme, j'ai rêvé que je pensais ! Quelle absurdité ! Et dans ce rêve, j'étais étranger... A présent, je m'éveille de mon long sommeil. Qui étais-je ? C'est sans importance. Car à présent, je ne suis plus personne, et j'écoute ! J'écoute cette forêt ! J'entends la forêt qui danse ! J'écoute la forêt qui chante ! Elle me murmure des sons si beaux ! Déjà, je sens que le rêve s'efface... Enfin ! Je m'éveille... Je vais vivre...
La forêt est paisible à présent. La nuit touche à sa fin. Qu'apportera l'aube ? Une nouvelle journée ? Un soleil aveuglant ? Venue au monde de la lumière. Les ombres ne danseront plus dans les ténèbres... Mais... ce soir ? Ce soir, les ténèbres descendront sur le monde. L'obscurité pénétrera cette forêt. Cette forêt qui chante... C'est la forêt qui danse... La même musique, le même refrain, toujours, mais personne pour écouter...
Et, au milieu de cette forêt solitaire, des consciences s'agitent. Cette nuit, l'une d'elle s'est éteinte dans cette forêt. Beaucoup de bruit dans cette forêt, aujourd'hui. Du bruit, mais pas de musique. Pour une simple conscience qui s'est éteinte... J'ai le vague souvenir de cette conscience. Des images floues d'un monde étrange, un monde que j'ai rêvé. Enfin, me voilà... Finalement. Je suis vivant. La forêt est tout autour de moi, la forêt est en moi... Et ces consciences qui s'agitent sans m'entendre... Car je suis, je chante, je danse... La même musique, le même refrain, toujours, mais personne pour écouter..
Charton-Furer Yann
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