Je comptais écrire un texte sur l'automne qui arrive doucement. Mon amie, Annick Sert, a écrit et nous a fait cadeau d'un texte sublime qu'elle m'a autorisé à publier. Annick se qualifie elle-même d'attrapeuse de rêves, de butineuse. Elle nous convie souvent en des balades enchantées, où le rêve rejoint la réalité...Annick confie qu'elle trouve le paradis dans l'instant, elle a appris à faire durer chaque seconde de bonheur, comme si c'était la dernière...
Belle leçon de vie d'une amie qui m'est très chère !
J'espère que celles et ceux qui s'arrêteront ici prendront le temps de lire, de s'assoir à côté d'Annick, de fermer les yeux, d'être comme elle attentive à la fugacité de l'instant et d'écouter son texte mélodieux. Volontairement, je ne veux rien y ajouter.
Arriver tôt, une heure à peine après le lever du jour, et attendre, assis sur un banc au bois humide, que les premiers rayons de soleil caressent les feuillages encore immobiles.
Croiser les bras, joindre les pieds et expirer lentement : l'endroit sent encore la nuit mais un merle chante déjà, d'autres lui répondent, la forêt s'éveille.
Commencer par fermer les yeux, mains à plat sur les cuisses, en calmant sa respiration.
Puis, de sa poche, les paupières toujours baissées, sortir un raisin de corinthe. Pas deux, trois ou une poignée mais un seul.
Ne pas l'avaler tout de suite, le laisser fondre sous la langue en essayant d'en saisir toutes les saveurs. Du sucre, bien sûr, une pointe d'amertume, un peu d'acidité.
Marier ces goûts avec ce que capte le nez, cette odeur âpre de terre mouillée qui donne envie d'éternuer et ces effluves d'herbe inondée de rosée.
Ouvrir les yeux et commencer par fixer un peuplier aux feuilles jaunes.
Le vent qui lève les fait trembloter, pareilles à des dizaines de petits mouchoirs qui seraient agités par des mains invisibles.
Se sentir transporté par ces frétillements.
Porter son regard ailleurs, vers ce mur de vieilles pierres.
Attendre un souffle plus puissant et ne rien perdre du ballet de ces feuilles grenats qui, tels des confettis, voltigent, tombent en vrille, planent en donnant l'impression de rester suspendues, certaines s'avisant même de reprendre de la hauteur avant d'atterrir, doucement, comme à regret, sur un tapis aux éclats orangés.
Le vent se calme mais quelques feuilles volètent toujours, émouvantes retardataires que l'on se prend à encourager dans leur vain combat contre la pesanteur.
On pense alors à ces poètes que les jours d'octobre ont fait pleurer et on saisit, peut-être sans le partager, le sens de leur mélancolie.
Viennent alors à la surface des souvenirs, des bribes de complaintes et de poésies, apprises au siècle dernier , "colchiques dans les près, fleurissent, fleurissent ... la feuille d'automne emportée par le vent en ronde monotone, tombe en tourbillonnant ... et ce chant dans mon coeur, murmure, murmure, et ce chant dans mon coeur appelle le bonheur."
C'est bien cela, il y a toujours une allégresse à accueillir l'automne, une joie malgré les jours ternes qui s'annoncent et le plafond bas, le gris dominant et la nuit qui tombe à quatre heures de l'après-midi !
Le temps a filé et le soleil est bientôt à son zénith.
C'est l'heure, l'instant magique.
Un photographe rangerait son appareil en raison de l'intensité de la lumière mais sans elle, sans cette blancheur inattendue en pareille saison, il serait impossible d'admirer comme il se doit cet érable aux nuances vermeilles et fauves, raison principale de cette escapade automnale.
C'est "le" moment, certainement le meilleur de la journée.
Vivre cela une fois par an, vaut toutes les évasions, toutes les lectures. Ou presque.
D'abord, regarder l'arbre de loin.
Plonger ses yeux dans ses branchages.
Ne rien voir d'autre que ses points carmin et garance qui tremblent et scintillent.
Graver leur image dans la rétine et se dire qu'aucune photographie, aucun film, ne seraient capables de restituer pareil spectacle.
Ensuite, s'approcher par cercles concentriques, jusqu'à effleurer les premières branches de sa main.
Saisir de sa paume une feuille écarlate qui vient de se détacher et décider de la garder en la glissant dans sa sacoche.
En chercher d'autres, les plus belles, les plus régulières, celles dont les couleurs sont les plus vives, les plus inattendues.
Tout à l'heure, bien après le retour dans la ville, il s'agira, avec la satisfaction du chercheur de trésor - ou la naïveté de l'enfant -, de les admirer de nouveau, de les trier...
Elles deviendront herbier pour certaines, collage sur papiers multicolores pour d'autres.
Quelques déceptions aussi, feuilles brisées, écrasées ou aux teintes déjà ternies.
Tout cela est inspiré d'une coutume japonaise, le "momijigari " ou "chasse aux feuilles de l'automne" ou encore "contempler les couleurs de l'érable".
Il s'agit d'une quête, d'un salut à la nature avant qu'elle ne s'endorme, d'une volonté de profiter d'un feu d'artifice flamboyant avant le sommeil hivernal.
Il va bientôt faire nuit et des silhouettes dentelées se dessinent dans l'obscurité.
C'est une autre magie qui s'installe, une autre atmosphère.
Il est temps de s'en aller, poumons lavés et esprit apaisé.
S'accorder un dernier plaisir : celui de marcher dans le noir sur un tapis crissant en se disant que, peut-être, si le temps le permet encore, il sera possible de répéter cette sortie avant l'arrivée en force de la grisaille.
Oui, assurément, rien n'est plus beau que l'automne !
© Annick Sert, 21 septembre 2009
3 commentaires:
Me voici accueillie en bien bel univers !
Je ne sais pas si ma récolte de feuilles rouges sera belle cette année mais d'ors et déjà celle de l'amitié s'est enrichie d'une pépite que beaucoup m'envieront.
Annik
Merci chère Annick. Ta récolte de feuilles rouges sera belle, j'en suis certaine. Crois-moi, je suis heureuse que tu te dois décidée à déposer tes belles feuilles colorées et douces sur ton blog.
Anne
Annick, j'ai découvert vos photos sur Facebook. Elle m'ont touchées et je vous ai fait signe. Maintenant, après une longue journée, là-bas à Los Angeles, je découvre vos mots rouges et mordorés qui m'émeuvent infiniment. Merci pour ces petits trésors qui me font languir des automnes européens, si délicieux et enivrants, et qui me manquent tellement dans cette désertique Californie. A bientôt! Cécilia T., violoncelliste de l'autre côté du monde...
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