"Rien, moins que rien, pourtant la vie." Aragon

A la découverte de la beauté et de la vie ...

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samedi 6 mars 2010

A l'occasion de l'anniversaire d'une amie .... Il était un Mont des merveilles


Comment souhaiter et surtout fêter l’anniversaire d’une amie si proche et si chère, si ce n’est en publiant un article sur ce qu’elle aime…

Annick aime la baie du Mont Saint Michel, SA baie, qu’elle fait découvrir et aimer, tout comme elle partage, avec tant de simplicité, son immense curiosité et sa culture, son goût du beau et des livres ... Elle aime à partager ses émerveillements et coups de cœur, pour le plus grand enchantement de ses amis, dont j'ai le grand privilège d'être.

J'ai dès lors choisi de présenter la baie sous le regard d'Annick par des photos qu'elle a prises et aime partager et par des textes de deux amoureux de la baie, Guy de Maupassant et Victor Hugo.

Toutes les photos sont d'Annick, sauf celle d'un vitrail que j'ai trouvée sur Internet (blog "Chevaliers du Temps").



Quelle vision, quand on arrive, comme moi, à Avranches, vers la fin du jour ! La ville est sur une colline ; et on me conduisit dans le jardin public, au bout de la cité. Je poussai un cri d'étonnement. Une baie démesurée s'étendait devant moi, à perte de vue, entre deux côtes écartées se perdant au loin dans les brumes ; et au milieu de cette immense baie jaune, sous un ciel d'or et de clarté, s'élevait sombre et pointu un mont étrange, au milieu des sables. Le soleil venait de disparaître, et sur l'horizon encore flamboyant se dessinait le profil de ce fantastique rocher qui porte sur son sommet un fantastique monument.

Dès l'aurore, j'allai vers lui. La mer était basse, comme la veille au soir, et je regardais se dresser devant moi, à mesure que j'approchais d'elle, la surprenante abbaye. Après plusieurs heures de marche, j'atteignis l'énorme bloc de pierres qui porte la petite cité dominée par la grande église. Ayant gravi la rue étroite et rapide, j'entrai dans la plus admirable demeure gothique construite pour Dieu sur la terre, vaste comme une ville, pleine de salles basses écrasées sous des voûtes et de hautes galeries que soutiennent de frêles colonnes. J'entrai dans ce gigantesque bijou de granit, aussi léger qu'une dentelle, couvert de tours, de sveltes clochetons, où montent des escaliers tordus, et qui lancent dans le ciel bleu des jours, dans le ciel noir des nuits, leurs têtes bizarres hérissées de chimères, de diables, de bêtes fantastiques, de fleurs monstrueuses, et reliés l'un à l'autre par de fines arches ouvragées.





Quand je fus sur le sommet, je dis au moine qui m'accompagnait : « Mon père, comme vous devez être bien ici ! »

Il répondit : « Il y a beaucoup de vent, Monsieur » ; et nous nous mîmes à causer en regardant monter la mer, qui courait sur le sable et le couvrait d'une cuirasse d'acier.

Et le moine me conta des histoires, toutes les vieilles histoires de ce lieu, des légendes, toujours des légendes.

Une d'elles me frappa beaucoup. Les gens du pays, ceux du mont, prétendent qu'on entend parler la nuit dans les sables, puis qu'on entend bêler deux chèvres, l'une avec une voix forte, l'autre avec une voix faible. Les incrédules affirment que ce sont les cris des oiseaux de mer, qui ressemblent tantôt à des bêlements, et tantôt à des plaintes humaines ; mais les pêcheurs attardés jurent avoir rencontré, rôdant sur les dunes, entre deux marées, autour de la petite ville jetée ainsi loin du monde, un vieux berger, dont on ne voit jamais la tête couverte de son manteau, et qui conduit, en marchant devant eux, un bouc à figure d'homme et une chèvre à figure de femme, tous deux avec de longs cheveux blancs et parlant sans cesse, se querellant dans une langue inconnue, puis cessant soudain de crier pour bêler de toute leur force.

Je dis au moine : « Y croyez-vous ? »

Il murmura : « Je ne sais pas. »

Je repris : « S'il existait sur la terre d'autres êtres que nous, comment ne les connaîtrions-nous point depuis longtemps ; comment ne les auriez-vous pas vus, vous ? comment ne les aurais-je pas vus, moi ? » Il répondit : « Est-ce que nous voyons la cent millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices, déracine les arbres, soulève la mer en montagnes d'eau, détruit les falaises, et jette aux brisants les grands navires, le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, — l'avez-vous vu, et pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant. »

Je me tus devant ce simple raisonnement. Cet homme était un sage ou peut-être un sot. Je ne l'aurais pu affirmer au juste ; mais je me tus. Ce qu'il disait là, je l'avais pensé souvent.

Guy de Maupassant, Le Horla, version de 1887






"J'aime cette baie où terre, mer et ciel se confondent
Où les eaux s'en allant laissent place aux troupeaux
Où les flots fous s'élancent au grand galop
Et où les grèves mugissantes de folles tempêtes grondent."

Annick S.






Victor Hugo est également un inconditionnel de la Baie.

N’écrit-il pas : "Le Mont-Saint-Michel apparaît, de huit lieues en terre et de quinze en mer, comme une chose sublime, une pyramide merveilleuse »n appel enthousiaste pour la Sauvegarde du Mont Saint Michel , appel prémonitoire s’il en est…

« Le Mont Saint Michel est pour la France ce que la grande Pyramide est pour l'Egypte.
Il faut le préserver de toute mutilation.
Il faut que le Mont Saint Michel reste une île.
Il faut conserver à tout prix cette double œuvre de la nature et de l'art"






La légende du Mont St Michel

Je l’avais vu d’abord de Cancale, ce château de fées planté dans la mer. Je l’avais vu confusément, ombre grise dressée sur le ciel brumeux.

Je le revis d’Avranches, au soleil couchant. L’immensité des sables était rouge, l’horizon était rouge, toute la baie démesurée était rouge, seule, l’abbaye escarpée, poussée là-bas, loin de la terre, comme un manoir fantastique, stupéfiante comme un palais de rêve, invraisemblablement étrange et belle, restait presque noire dans les pourpres de jour mourant.

J’allai vers elle le lendemain dès l’aube à travers les sables, l’œil tendu sur ce bijou monstrueux, grand comme une montagne, ciselé comme un camée, et vaporeux comme une mousseline. Plus j’approchais, plus je me sentais soulevé d’admiration, car rien au monde peut-être n’est plus étonnant et plus parfait.

Et j’errai, surpris comme si j’avais découvert l’habitation d’un dieu à travers ces salles portées par des colonnes légères ou pesantes, à travers ces couloirs percés à jour, levant mes yeux émerveillés sur ces clochetons qui semblent des fusées parties vers le ciel et sur tout cet emmêlement incroyable de tourelles, de gargouilles, d’ornements sveltes et charmants, feu d’artifice de pierre, dentelle de granit, chef-d’œuvre d’architecture colossale et délicate.




"Impétueuse ou docile, imprévisible et furie déchaînée ou calme et incroyablement silencieuse, la mer est impossible à dompter.
Elle est, à notre échelle, l'image de l'immensité, de la liberté et un fabuleux objet de méditation."

Annick S.





La Légende proprement dite (suite du texte de Guy de Maupassant)




Comme je restais en extase, un paysan bas-normand m'aborda et me raconta l'histoire de la grande querelle de saint Michel avec le diable.
Un sceptique de génie a dit: «Dieu a fait l'homme à son image, mais l'homme le lui a bien rendu.»
Ce mot est d'une éternelle vérité et il serait fort curieux de faire dans chaque continent l'histoire de la divinité locale, ainsi que l'histoire des saints patrons dans chacune de nos provinces. Le nègre a des idoles féroces, mangeuses d'hommes; le mahométan polygame peuple son paradis de femmes; les Grecs, en gens pratiques, avaient divinisé toutes les passions.
Chaque village de France est placé sous l'invocation d'un saint protecteur, modifié à l'image des habitants.
Or saint Michel veille sur la Basse-Normandie, saint Michel, l'ange radieux et victorieux, le porte-glaive, le héros du ciel, le triomphant, le dominateur de Satan.
Mais voici comment le Bas-Normand, rusé, cauteleux, sournois et chicanier, comprend et raconte la lutte du grand saint avec le diable.
«Pour se mettre à l'abri des méchancetés du démon, son voisin, saint Michel construisit lui-même, en plein Océan, cette habitation digne d'un archange; et, seul, en effet, un pareil saint pouvait se créer une semblable résidence.
Mais, comme il redoutait encore les approches du Malin, il entoura son domaine de sables mouvants plus perfides que la mer.
Le diable habitait une humble chaumière sur la côte; mais il possédait les prairies baignées d'eau salée, les belles terres grasses où poussent les récoltes lourdes, les riches vallées et les coteaux féconds de tout le pays; tandis que le saint ne régnait que sur les sables. De sorte que Satan était riche, et saint Michel était pauvre comme un gueux.
Après quelques années de jeûne, le saint s'ennuya de cet état de choses et pensa à passer un compromis avec le diable; mais la chose n'était guère facile, Satan tenant à ses moissons.
Il réfléchit pendant six mois; puis, un matin, il s'achemina vers la terre. Le démon mangeait la soupe devant sa porte quand il aperçut le saint; aussitôt il se précipita à sa rencontre, baisa le bas de sa manche, le fit entrer et lui offrit de se rafraîchir.
Après avoir bu une jatte de lait, saint Michel prit la parole:
– Je suis venu pour te proposer une bonne affaire.
Le diable, candide et sans défiance, répondit:
– Ça me va.
– Voici. Tu me céderas toutes tes terres.
Satan, inquiet, voulut parler:
– Mais...
Le saint reprit:
– Écoute d'abord. Tu me céderas toutes tes terres. Je me chargerai de l'entretien, du travail, des labourages, des semences, du fumage, de tout enfin, et nous partagerons la récolte par moitié. Est-ce dit?
Le diable, naturellement paresseux, accepta.
Il demanda seulement en plus quelques-uns de ces délicieux surmulets qu'on pêche autour du mont solitaire. Saint Michel promit les poissons.
Ils se tapèrent dans la main, crachèrent de côté pour indiquer que l'affaire était faite, et le saint reprit:
– Tiens, je ne veux pas que tu aies à te plaindre de moi. Choisis ce que tu préfères: la partie des récoltes qui sera sur terre ou celle qui restera dans la terre.
Satan s'écria:
– Je prends celle qui sera sur terre.
– C'est entendu, dit le saint.
Et il s'en alla.
Or, six mois après, dans l'immense domaine du diable, on ne voyait que des carottes, des navets, des oignons, des salsifis, toutes les plantes dont les racines grasses sont bonnes et savoureuses, et dont la feuille inutile sert tout au plus à nourrir les bêtes.
Satan n'eut rien et voulut rompre le contrat, traitant saint Michel de «malicieux».
Mais le saint avait pris goût à la culture; il retourna retrouver le diable:
– Je t'assure que je n'y ai point pensé du tout; ça s'est trouvé comme ça; il n'y a point de ma faute. Et, pour te dédommager, je t'offre de prendre, cette année, tout ce qui se trouvera sous terre.
– Ça me va, dit Satan.
Au printemps suivant, toute l'étendue des terres de l'Esprit du mal était couverte de blés épais, d'avoines grosses comme des clochetons, de lins, de colzas magnifiques, de trèfles rouges, de pois, de choux, d'artichauts, de tout ce qui s'épanouit au soleil en graines ou en fruits.
Satan n'eut encore rien et se fâcha tout à fait.
Il reprit ses prés et ses labours et resta sourd à toutes les ouvertures nouvelles de son voisin.
Une année entière s'écoula. Du haut de son manoir isolé, saint Michel regardait la terre lointaine et féconde, et voyait le diable dirigeant les travaux, rentrant les récoltes, battant ses grains. Et il rageait, s'exaspérant de son impuissance. Ne pouvant plus duper Satan, il résolut de s'en venger, et il alla le prier à dîner pour le lundi suivant.
– Tu n'as pas été heureux dans tes affaires avec moi, disait-il, je le sais; mais je ne veux pas qu'il reste de rancune entre nous, et je compte que tu viendras dîner avec moi. Je te ferai manger de bonnes choses.
Satan, aussi gourmand que paresseux, accepta bien vite. Au jour dit, il revêtit ses plus beaux habits et prit le chemin du Mont.
Saint Michel le fit asseoir à une table magnifique. On servit d'abord un vol-au-vent plein de crêtes et de rognons de coq, avec des boulettes de chair à saucisse, puis deux gros surmulets à la crème, puis une dinde blanche pleine de marrons confits dans du vin, puis un gigot de pré-salé, tendre comme du gâteau; puis des légumes qui fondaient dans la bouche et de la bonne galette chaude, qui fumait en répandant un parfum de beurre.
On but du cidre pur, mousseux et sucré, et du vin rouge et capiteux, et, après chaque plat, on faisait un trou avec de la vieille eau-de-vie de pommes.
Le diable but et mangea comme un coffre, tant et si bien qu'il se trouva gêné.
Alors saint Michel, se levant formidable, s'écria d'une voix de tonnerre:
– Devant moi! devant moi, canaille! Tu oses... Devant moi...
Satan éperdu s'enfuit, et le saint, saisissant un bâton, le poursuivit.
Ils couraient par les salles basses, tournant autour des piliers, montaient les escaliers aériens, galopaient le long des corniches, sautaient de gargouille en gargouille. Le pauvre démon, malade à fendre l'âme, fuyait, souillant la demeure du saint. Il se trouva enfin sur la dernière terrasse, tout en haut, d'où l'on découvre la baie immense avec ses villes lointaines, ses sables et ses pâturages. Il ne pouvait échapper plus longtemps; et le saint, lui jetant dans le dos un coup de pied furieux, le lança comme une balle à travers l'espace.
Il fila dans le ciel ainsi qu'un javelot, et s'en vint tomber lourdement devant la ville de Mortain. Les cornes de son front et les griffes de ses membres entrèrent profondément dans le rocher, qui garde pour l'éternité les traces de cette chute de Satan.
Il se releva boiteux, estropié jusqu'à la fin des siècles; et, regardant au loin le Mont fatal, dressé comme un pic dans le soleil couchant, il comprit bien qu'il serait toujours vaincu dans cette lutte inégale, et il partit en traînant la jambe, se dirigeant vers des pays éloignés, abandonnant à son ennemi ses champs, ses coteaux, ses vallées et ses prés.
Et voilà comment saint Michel, patron des Normands, vainquit le diable.»
Un autre peuple avait rêvé autrement cette bataille.


Et voilà, je connaissais le Mont Saint Michel comme une simple touriste, mais j'ai redécouvert ce site sous un autre jour, sous d'autres yeux, des yeux d'une amie, d'une poète et chercheuse de rêves, d'art et d'une nature plus authentique ...





Un lien m'a été offert par Annick. L'émission française "Des racines et des ailes" a consacré un reportage au Mont Saint Michel à l'occasion des 1.300 ans de celui-ci. Un court extrait, relatif à Notre-Dame-sous-terre, fondation du Mont Saint Michel, est présenté par deux amis d'Annick. Passionnant !!!
http://romanes.blogspot.com/2009/08/video-notre-dame-sous-terre-fondation.html


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3 commentaires:

Anonyme a dit…

Et bien, c'est un travail formidable, précis et agrémenté des photos que nous connaissons pour les avoir vues chez Annick.
L'histoire du Mont, est très belle, et ce qui m'a beaucoup plût dans l'histoire de Guy de Maupassant c'est " on entend parler la nuit dans les sables...".cette hypothèse me plait beaucoup , c'est à la fois mystérieux et troublant......
Quant aux écrits de Annick , je ne m'en lasse pas ....petites merveilles de poésie.....
Compliments, tu as fait un travail de "Titan" et Annick doit être comblée.....Louise chang

mAnaniya, a dit…

La mer se retirant révèle des trésors, paillettes posées sur le sable de l’estran ...
Quelques grains de lumière, témoignages du coeur, petits cailloux sur le chemin de la vie.
Merci de tout ♥

Anne Dijon a dit…

Merci à toi Louise, pour ton si gentil et doux commentaire. Tout en ne "créant rien" au sens premier du terme, j'ai effectivement découvert, tout comme toi, une atmosphère unique en ce lieu si cher à notre amie.

Annick, ces grains de lumière, tu les sèmes en grand nombre avec une infinie tendresse et une telle douceur ... Merci d'être ! ♥